Qu’est-ce qu’un mur biodiverse ? À la différence des « murs végétalisés », placages accolés en façade intérieure ou extérieure des bâtiments qui se sont répandus à partir des années 2000 et qui sont conçus pour suspendre des plantes vivantes, c’est un mur qui a pour originalité d’enserrer une épaisseur de substrat. Ménageant une continuité depuis le sol jusqu’au sommet, le mur lui-même sert ainsi de réserve d’eau et de nutriments pour que les plantes s’épanouissent en façade.
Un mur biodiverse se présente ainsi comme une structure en trois couches. La dernière, en façade, est poreuse et ouverte sur l’extérieur (figure 1). Elle permet d’accueillir les végétaux. La couche intérieure assure la portance et l’isolation qui répondent aux exigences d’un mur classique. Entre les deux vit le substrat. Innovation technique, le mur biodiverse se positionne comme une réponse pertinente pour promouvoir la nature en ville tout en luttant contre les effets du changement climatique.

ChartierDalix, appel à projet FAIRE du Pavillon de l’Arsenal, en collaboration avec le MNHN et Topager.
Du mur qui sépare au mur qui accueille
L’association intime entre le mur structurel et la végétalisation verticale est d’abord explorée dans ses aspects historiques. La thèse en architecture de Delphine Lewandowski réinterroge ainsi les fonctionnalités intrinsèques du mur, objet bâtimentaire et architectural à la base des principes constructifs universels. De fait, les vertus de la végétalisation des murs sont connues depuis l’Antiquité et les constructions de certaines civilisations témoignent d’interventions préméditées de l’architecte, qui accompagne un processus végétal organisé. Au-delà d’un traitement de surface ou d’une approche esthétique du bâtimentaire, le mur biodiverse se pose aujourd’hui comme une solution intéressante pour répondre à la nécessaire adaptation des villes aux effets du changement climatique et à la promotion de la nature en ville, nécessaire à son habitabilité durable.
Les enveloppes extérieures des bâtiments (murs, toits, terrasses…) se révèlent de puissants gisements pour multiplier les surfaces supports de biodiversité en ville. Cette recherche de nouvelles accroches pour la nature renvoie à toutes les recherches témoignant des bénéfices de la nature en ville (largement rappelés dans le premier chapitre) : performance thermique des bâtiments, résorption des îlots de chaleur urbaine, réduction de la diffusion des gaz à effets de serre et des polluants, absorptions des nuisances sonores, temporisation des écoulements pluvieux, support de biodiversité, contribution à l’esthétique urbaine et à l’amélioration du cadre de vie…
La végétalisation des surfaces bâties fait ainsi écho, sur les parois, les toits et les piliers, aux réflexions engagées sur les sols vivants. Concrètement, la solution des murs biodiverses est aussi explorée comme une solution de continuité pour permettre aux trames vertes et brunes de grimper le long des façades et de permettre que les murs et les bâtiments eux-mêmes participent aux corridors naturels. Alors que les textes législatifs œuvrent vers la mise en place des démarches ERC (éviter, réduire, compenser) pour encadrer l’ouverture à l’urbanisation de nouveaux terrains, la végétalisation des murs est ici appréhendée comme une réponse pertinente à l’application de ce principe, voire comme une contribution à la mise en œuvre de la trajectoire « zéro artificialisation nette » (ZAN) en faveur de la sobriété foncière. La question est clairement posée sur le rôle comptable des infrastructures végétalisées en murs biodiverses pour répondre à l’artificialisation des sols qui consomme les espaces naturels et agricoles dans la périphérie des villes – voire la compenser.
Une architecture inscrite dans les trames écologiques de la ville
Cette thèse est donc une contribution significative et contextualisée aux enjeux d’aménagement des villes modernes, alors que celles-ci doivent répondre à la perception du réchauffement climatique plus insupportable dans des environnements minéralisés. L’approche comptable des surfaces liées à l’application du ZAN, et son austère arithmétique, trouve ici un précieux complice pour végétaliser les villes, et donc ses murs, en se posant comme une condition à l’acceptation d’une densité urbaine aimable.
Au-delà de son inscription remarquée dans la recherche urbaine académique (et de la qualité rédactionnelle et l’accessibilité du propos !), les travaux de Delphine Lewandowski se distinguent sur plusieurs points méthodologiques, qui convoquent de multiples disciplines (urbanisme, architecture, paysage, pédologie, biologie, écologie urbaine, génie civil, physique et chimie appliquée… avec des démonstrations à chaque fois rigoureuses, étayées et très explicites). Car c’est bien un travail technique qui est mis en avant, et l’aspect esthétisant des murs végétalisés est d’emblée dépassé pour porter une ambition opérationnelle et durable pour les murs biodiverses. La question de la matérialité est essentielle pour soutenir ces objectifs et le parti pris de la conception « tri couches » est à la base de l’expérimentation.
Six prototypes ont été réalisés en extérieur sur le site des laboratoires de recherche du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, deux façades avec chacune trois types de murs étudiés (figure 2). Chacun de ces démonstrateurs propose une couche superficielle perforée avec des aspérités pour accrocher les végétaux, une surface intermédiaire pour le développement du substrat autorenouvelé et favorisant la rétention d’eau, enfin une surface structurelle interne isolante et porteuse. Un suivi rigoureux a été organisé pour analyser dans le temps les paramètres qui influent sur la croissance des végétaux (hauteurs, lumière, apport en eaux, qualité du substrat…). Des expérimentations complémentaires sont menées sur les propriétés physico-chimiques des matériaux (bioréceptivité) et sur la composition du substrat afin d’établir des recommandations.

© Olivier Genevoix (ChartierDalix).
Une recherche en action
Ce travail n’est pas seulement académique : il trouve un réel prolongement opérationnel qui fait de cette recherche une contribution concrète à l’innovation architecturale et urbaine. Conduit dans le cadre d’une convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE) au sein de l’agence d’architecture ChartierDalix [1], les enjeux professionnels ont été éprouvés au quotidien sur plusieurs chantiers. L’interface entre un réseau de chercheurs et des professionnels du bâtiment et de l’architecture, nécessaire pour s’inscrire dans une perspective concrète permet d’adosser le cadre conceptuel à des démonstrateurs concrets et des projets d’architecture mis en œuvre et évalués dans la durée (dépose de brevet).

© Camille Gharbi (ChartierDalix).
Le couronnement opérationnel de cette recherche est d’ailleurs crédibilisé par le quatrième chapitre de la thèse : un important travail de recommandations méthodologiques et de mise en œuvre pour maîtriser la conception et l’entretien d’un mur biodiverse. C’est un guide très concret qui explicite les conditions pour le déploiement optimal des murs en fonction de multiples paramètres : l’exposition et le contexte climatique et microclimatique ; les morphologies et la matérialité adéquate des murs ; la préparation et l’entretien d’un substrat optimum ; la gestion de l’humidité et des chemins de l’eau ; le choix des plantes et l’accueil de la faune (pollinisateurs locaux) ; le rapport à l’éclairage public, etc. Les modalités d’entretien des murs biodiverses sont aussi abordées, avec l’ambition d’un fonctionnement autonome et le plus économique possible afin de réduire les coûts de réalisation.
Les destinataires potentiels de ce guide opérationnel pour des murs biodiverses seraient prioritairement les professionnels de la ville et de l’architecture (maîtres-d’œuvre, paysagistes concepteurs, commanditaires, rédacteurs de cahiers des charges, services espaces verts des collectivités…). Ce travail se pose en effet comme un plaidoyer pour l’évolution des pratiques architecturales et de la construction. Alors que les « simples » murs végétalisés sont trop souvent associés à des programmes architecturaux et urbains coûteux à vocation esthétique, alimentant l’idée d’une architecture « green washing », les perspectives ouvertes permettraient de favoriser le développement de murs biodiverses à grande échelle et à coût maîtrisé. Une façon d’appliquer le concept de « sols vivant » à la verticalité et de faire de l’innovation technique une source d’inspiration et de réinvention pour nos villes…
De ce point de vue, et dans la ligne directe du propos visé par cette recherche, la thèse appellera un travail d’exploration complémentaire pour les professionnels les plus en pointe : les démonstrateurs opérationnels déployés par Delphine Lewandowski sont de matérialités distinctes (briques pleines, briques alvéolées et pierres sèches) mais, dans certains résultats exposés, le béton occupe encore une place centrale, y compris dans les extensions construites pour accueillir et soutenir le renfort de biodiversité… Autant de perspectives d’approfondissements intéressantes, alors que la question des nouveaux matériaux est un enjeu décisif pour penser la ville bas carbone. De même, l’essentiel du travail exposé concerne moins la restructuration de l’existant que de nouvelles constructions, alors que, précisément, un des principaux enjeux en matière de construction durable est moins de « verdir » le nouvellement construit que de retravailler le déjà-là : dans quelle mesure les résultats présentés dans la thèse sont-ils exportables dans les opérations de transformation de l’existant ? Autant de débats ouverts par cette thèse qui feront réagir les experts du secteur et, au-delà, de nombreuses associations ou particuliers intéressés par cette thématique.