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Des dispositifs d’accueil inhospitaliers pour les nouveaux arrivants

S’installer, tisser des liens sont des enjeux pour toute personne migrante. Pourtant, les lieux dédiés aux politiques d’accueil se révèlent inhospitaliers. Brigitte Baccaïni et Maurice Blanc reviennent sur le travail de recherche que Marie Trossat a mené à Bruxelles et qui a été nommé au Prix de Thèse sur la Ville.

Recensé : Marie Trossat, Architectures de l’(in)hospitalité. Urbanité, spatialité et matérialité des politiques d’accueil à Bruxelles, thèse de doctorat en architecture et sciences de la ville (dir. Y. Pedrazzini et M. Berger), École polytechnique fédérale de Lausanne, 2023.

Les institutions multiplient les discours responsabilisant les nouveaux arrivants dans la « réussite » de leur intégration. Produisent-elles, en parallèle, des conditions d’hospitalité facilitant cette intégration ? Les politiques urbaines tiennent-elles compte de ces publics spécifiques et œuvrent-elles à faciliter leur accueil ? Ou bien la mauvaise « qualité des environnements, des situations, des milieux, des ambiances, des choses, des espaces, des bâtiments, des institutions » (Stavo-Debauge 2018) qui leur sont proposés fragilise-t-elle leur insertion dans la société et dans la vie locale ?

Architecte et sociologue, Marie Trossat interroge l’accès au territoire, à la ville et à l’habitat réservé aux nouveaux arrivants en situation de précarité à Bruxelles. Demandeurs d’asile, migrants en transit ou sans-papiers, quelles opportunités leur sont offertes et à quelles menaces font-ils face ? Étudiant l’habitabilité et l’hospitalité des espaces dédiés à l’accueil, l’auteure constate le manque d’architecture et d’urbanité dans les politiques d’accueil, autant que le peu de place faite aux enjeux d’hospitalité au sein des politiques architecturales et urbaines.

La méthodologie, à teneur principalement sociologique, a été construite avec une attention particulière aux enjeux spatiaux et en référant à des méthodes issues de l’architecture : des visites de site notamment. D’une part, Marie Trossat a réalisé une étude longitudinale sur les trajectoires spatiales et sociales des nouveaux arrivants : elle s’est entretenue à plusieurs reprises avec une trentaine de nouveaux arrivants qu’elle a suivis le long de la thèse. D’autre part, elle s’est engagée dans une ethnographie urbaine à plusieurs facettes : entretiens avec des acteurs de l’hospitalité, visites de lieux, participation à des événements socio-culturels, suivi des médias et des réseaux… Elle a également participé à une recherche-action (ARCH 2020) et à un « été bénévole » au sein de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés.

Une hospitalité inhospitalière

Remis au-devant de la scène en 2015, le concept d’hospitalité est souvent sollicité par les chercheurs en tant que concept-manifeste : à l’échelle interpersonnelle, l’hospitalité serait une relation mais, à l’échelle du territoire, elle serait une valeur à promouvoir. Entre ces deux échelles, Marie Trossat propose d’investir l’hospitalité par ses dimensions matérielles et la question de l’espace. En étudiant des lieux et des situations, elle demande : comment, en pratique, les politiques d’accueil se matérialisent et qu’est-ce que cela signifie ? Sa thèse prenant part à un projet collectif sur l’hospitalité urbaine, elle s’interroge plus largement sur le rôle de la ville.

En premier lieu, la question de l’hospitalité de la ville est posée dans le contexte de la « crise de l’accueil » (Lendaro et al. 2019) et des mobilisations citoyennes mises en place pour y répondre. Cette première problématisation de l’hospitalité s’oriente autour de l’accueil d’urgence et de la mise à disposition de refuges – temporaires – dans un contexte d’inhospitalité gouvernementale.

En 2015, l’État belge restreignant l’accueil de demandeurs d’asile venus de Syrie, des milliers de citoyens et citoyennes se mobilisèrent au parc Maximilien (parc faisant face au centre d’enregistrement), alors transformé en camp de fortune. De cette mobilisation naît la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. En 2017, suite à la fermeture de la Jungle de Calais, un nouveau camp se forme dans le parc où passent désormais les migrants dits « en transit », car désirant rejoindre le Royaume-Uni. Appelé « l’hôtel vert » par certains nouveaux arrivants, le parc devient aussi le lieu où la Plateforme organise l’hébergement privé (hébergement au sein d’une famille volontaire) à travers toute la Belgique.

Forte de son élan, la Plateforme s’institutionnalise et bénéficie alors de financements de la Région bruxelloise. Mais elle ne dispose d’aucun bâtiment ou bail sur le long terme, ce qui la place dans une constante précarité spatiale, avec des déménagements fréquents. Les lieux en eux-mêmes proposent également une hospitalité minimale : un lit, un repas, une douche. Au fil de ce processus, le projet de la Plateforme s’est aussi appauvri : il a abandonné sa dimension politique et sa capacité à faire des propositions originales autour de l’hospitalité. À la Sister’s house, lieu d’hébergement pour femmes migrantes, Marie Trossat montre les difficultés auxquelles les femmes se heurtent. Elle souligne les rôles assignés entre bénévoles et hébergées et les interactions codifiées, loin des relations particulières tissées au sein des hébergements privés.

Ce constat fait aussi face à l’amplification des politiques de non-accueil : depuis 2022, des milliers de demandeurs d’asile, ainsi que des MENA (mineurs étrangers non accompagnés), ne sont plus hébergés en centre d’accueil et sont donc dépendants de ces infrastructures d’urgence, où l’accueil est autant minimal que temporaire.

Architecture, urbanisme et (in)hospitalité

Dans un deuxième temps, Marie Trossat questionne l’accès à la ville pour les demandeurs d’asile qui bénéficient d’une place en centre d’accueil. La relégation de ces centres aborde un autre volet de l’(in)hospitalité de la ville : éloignés des villes, les « accueillis », à qui l’on donne très peu de moyens pour prendre les transports (7 euros par semaine), sont condamnés à l’isolement. Cet éloignement est mis en regard avec l’attente indéfinie dont témoignent les demandeurs d’asile interrogés.

En parallèle d’une relégation « horizontale » (hors ville), l’auteure met en exergue une relégation « verticale » en évoquant les abris souterrains de la Protection civile, utilisés pour l’hébergement des demandeurs d’asile à Genève (autre terrain du projet collectif dans lequel la thèse s’intègre). Elle développe les concepts d’« habitat inhabitable » et d’« habitat a minima » (Trossat 2022), qui expriment le contraste entre la nécessité d’un habitat et les formes d’inhabitabilité matérielles (insalubrité, manque d’intimité, d’air, de lumière) et immatérielles (surveillance, contrôle, attente) auxquelles ces publics sont confrontés. Sa critique porte alors tant sur le plan architectural (le modèle de la prison de Michel Foucault) que sur le plan urbain (l’éloignement du centre).

Le travail met l’accent sur la violence matérielle et administrative qui entoure les personnes sans-papiers sans possibilité d’accès à une procédure. À Bruxelles, entre 50 000 et 112 500 personnes ne disposeraient pas de titre de séjour, c’est-à-dire entre 4 et 8,5 % de la population. L’hospitalité urbaine proprement bruxelloise est ainsi interrogée : quelle histoire de la ville permet que les personnes sans-papiers se retrouvent à habiter là et dans les quartiers du centre-ville ? Marie Trossat analyse ici les parcours en dehors des infrastructures institutionnelles dédiées, avec un zoom sur les cohabitations informelles et les squats : elle y dénote une hospitalité alternative qui peine à remplacer celle du droit.

Ainsi, l’hospitalité urbaine est aussi politique. Les architectures de l’hospitalité se comprennent comme des espaces médiatisant, à leur manière, le droit : du « droit à la ville » au « droit de Cité » en passant par le « droit d’être là ». Néanmoins, ces espaces sont également menacés par les politiques urbaines.

Changer les mots ou changer les choses ?

À Bruxelles comme ailleurs, la planification urbaine applique inconsciemment la célèbre phrase de Jean Jaurès : « Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots. » À l’heure où le discours sur la ville se gargarise des mots « participation », « ville durable et inclusive » ou « smart city », des acteurs de la production architecturale et urbaine participent à produire une ville inhospitalière, ignorant le « droit à la ville » des nouveaux arrivants et des lieux qui les accueillent, voire en les considérant comme indésirables.

Parmi les nombreux projets urbains qu’elle analyse, Marie Trossat évoque le projet de déménagement du Petit-Château, le premier centre d’accueil de demandeurs d’asile en Belgique, situé en plein cœur de ville. Depuis 2014, la Ville de Bruxelles a manifesté « son intérêt » pour le déménagement du centre : elle voudrait construire à la place des logements et une école. Un nouveau site pour le Petit-Château est alors envisagé dans la banlieue nord-ouest de Bruxelles. Mais l’idée est mise à l’arrêt, car les habitants de ce quartier « subissent » déjà « l’incinérateur » (le nom d’un centre d’accueil pour MENA) et les usines (à risque, classées Seveso), souligne un élu local. Le Petit-Château, en attendant, n’est pas rénové. En effet, si Marie Trossat fait le constat qu’il pèse une menace constante sur les infrastructures de l’hospitalité, celles-ci peinent, à revers, à être programmées.

Réflexions sur l’action et utilité pour les opérateurs

Bien qu’annoncée comme centrale dans la réflexion, l’architecture n’est que son point de départ. L’(in)hospitalité s’ancre dans l’espace, mais l’essentiel est politique et socio-anthropologique : le rôle des institutions et de la société civile est au premier plan dans l’accueil (ou plus souvent le non-accueil) des nouveaux arrivants à Bruxelles. Architecte et sociologue, Trossat part de l’architecture, mais pour aller au-delà.

Son analyse mène au constat que l’hospitalité et l’inhospitalité dépendent moins de l’ampleur des moyens matériels déployés par les États et les Villes, que de l’intention politique d’accueillir. Elle distingue trois formes d’« habitat inhabitable » :
– le « non-accueil et l’abandon » qui « normalis[e]nt le sans-abrisme migrant » et « produi[sent] des abris seulement temporaires » ;
– l’« hypercontrôle et la relégation » horizontale et verticale des demandeurs d’asile où le centre d’accueil devient un « dispositif de dissuasion » ;
– le « manque de statut » qui condamne les personnes exclues des politiques d’accueil à « un habitat caché aux conditions de vie souvent indécentes ».

Face aux politiques inhospitalières et au côté d’un « droit à la mobilité » (Pécoud et de Guchteneire 2006), l’auteure propose un « droit à habiter » pour les personnes nouvelles arrivantes, comprenant avec lui « un droit à la ville », mais aussi un « droit à l’architecture » et à la reconnaissance par ceux et celles habitant là depuis des années. Elle invite également à pérenniser les infrastructures d’hospitalité dites temporaires, à repenser la procédure d’asile au sein de l’espace urbain en encourageant la socialisation et l’autonomisation des demandeurs d’asile. Ces réflexions, particulièrement utiles, mériteraient d’être élargies aux migrants de travail. Il suffit de rappeler la célèbre phrase de Max Frisch sur la Suisse : « nous cherchions de la main-d’œuvre, mais des êtres humains sont venus ».

Bibliographie

  • ARCH (Action-Research Collective for Hospitality) 2020. « Whose Future Is Here? Searching For Hospitality in Brussels Northern Quarter », Metrolab Series.
  • Lendaro, A., Rodier, C. et Vertongen, Y.L. (dir.). 2019. La Crise de l’accueil. Frontières, droits, résistances, Paris : La Découverte.
  • Pécoud, A. et de Guchteneire, P. 2006. « International Migration, Border Controls and Human Rights: Assessing the Relevance of a Right to Mobility », Journal of Borderlands Studies, vol. 21, n° 1, p. 75-76.
  • Stavo-Debauge, J. 2018. « The qualities of hospitality and the concept of “inclusive city” », in M. Berger, L. Carlier, B. Moritz et M. Ranzato (dir.), « Designing Urban Inclusion », Metrolab Series, p. 165-175.
  • Trossat, M. 2022. « L’habitat inhabitable : le souterrain comme lieu de vie », Ambiances, n° 8, DOI : https://doi.org/10.4000/ambiances.4334.
  • Trossat, M. 2023. Architectures de l’(in)hospitalité. Urbanité, spatialité et matérialité des politiques d’accueil à Bruxelles, thèse de doctorat en architecture et sciences de la ville (dir. Y. Pedrazzini et M. Berger), École polytechnique fédérale de Lausanne.

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To cite this article:

& , « Des dispositifs d’accueil inhospitaliers pour les nouveaux arrivants », Metropolitics, 2 October 2025. URL : https://metropolitics.org/Des-dispositifs-d-accueil-inhospitaliers-pour-les-nouveaux-arrivants.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2206

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